samedi 10 mai 2014

Quand la hâte laisse place à la nostalgie

*Article écrit le 9 mai 2014*

Vous savez, ces longs moments sur la route. Ces moments où tu fuis la réalité en t'emprisonnant dans ta bulle, les écouteurs aux oreilles. Ces moments où la seule chose qui te reste pour t'occuper l'esprit est de réfléchir. Penser à ton passé, à ton présent, à ton futur. 
 
Ces moments, je les connais trop bien. Je les vis quand je prends le train qui me rapporte à la maison après une superbe journée avec des amis à Kuala Lumpur. Je les vis lorsque je prends l'avion seule vers une nouvelle destination. Je les vis lorsque je suis ma famille d'accueil au village familiale, et que la radio énervante malaisienne ou le son de CandyCrush à côté m’agace. Je les vis lorsque je traverse le Parc après un tournoi de badminton. Je le vis présentement, alors que ma famille d'accueil et moi sommes en route vers l'extrême sud de la Malaisie afin d'ajouter un pays à ma liste demain: Singapour. 

Par contre, cette fois-ci est différente. J'ai l'habitude, depuis un certain temps, de consacrer ces moments de réflexion à mon retour imminent. À me faire des scénarios dans ma tête où je revois finalement ma famille, mes amis. Où je donne les câlins les plus longs que je n'aie jamais donnés à mes proches. Où je pleure plus que ma capacité corporelle devrait me le permettre. Où je suis enfin chez moi. Ce chez moi qui m'a vu grandir, qui m'a bercée jusqu'à ce que mon envie d'aventure me pousse à le quitter. C'est à quoi je pense, lorsque je suis en voiture, normalement, et qui résulte inévitablement à des larmes que je tente de cacher jusqu'à ce que j'abandonne et que je délaisse ma bulle pour revenir dans le monde réel. 


Par contre, aujourd'hui, je me suis surprise à penser autrement. Je me suis mise à penser à Tarence, à Sufia, à Wafa, à Adam, à Fadzil, à Aliff. À Natasha, à Suhana, à Faiz. À Anna, à Jan, à Julie. À tous ces gens avec qui j'ai partagé ma vie pendant ces derniers mois. À tous ceux qui ont contribué de près ou de loin à rendre cette expérience inoubliable. À toutes ces rencontres qui ont forgé la personne que je suis aujourd'hui. 


Pour la première fois depuis longtemps, je ne songe pas à mon retour, mais plutôt à mon départ. En ce 9 mai, soit exactement un mois avant la fin de mon programme, et deux mois avant mon retour, je réfléchis pour la première fois à ce que je devrai laisser derrière. Je commence à me demander à quel monde j'appartiens vraiment. Bien sûr, je suis Québécoise, c'est mes souches, c'est là où j'ai grandi. Mais vais-je m'y sentir vraiment chez moi? Vais-je me sentir à l'aise dans ces terres qui étaient autrefois ma seule maison? 


Ce matin, j'ai fait un discours à l'école pour conclure mon séjour dans cet établissement scolaire et je crois que c'est peut-être ce qui a enclenché le processus. J'ai reçu deux plaques de reconnaissance et un certificat encadré par différents représentants de l'école. Ils semblent avoir été marqués par ma présence parmi eux et tenaient à m'offrir des cadeaux que je pourrai conserver en souvenir. C'est là que j'ai réalisé que c'était vraiment la fin. Même si je n'étais pas toujours enthousiaste à me rendre à l'école le matin et que je chialais souvent contre le mauvais système d'éducation, j'ai été marquée par cette école et plus particulièrement par les gens avec qui je partageais mon quotidien. 


C'est en réfléchissant à tout ça qu'on prend conscience de l'inévitable. De ce que les prochains mois vont me faire subir. Je ne vais pas devoir tourner une page dans le livre de ma vie, mais plutôt jeter le brouillon d'un nouveau script au complet. Cette vie, je ne la retrouverai jamais. Je ne pourrai pas revenir en arrière et revivre mon échange. Je pourrai évidemment revenir en Malaisie dans le futur lorsque j'aurai les sous pour, mais ce ne sera jamais pareil. 


Dire aux revoir à mes proches avant de partir vers l'étranger était dur, mais donner mes aux revoir incertains à ces étrangers après un an sera définitivement horrible. La première fois, je savais que je pourrais tout retrouver sans trop de changement après cette période de temps plus ou moins longue. Ce n'était qu'une question de mois. Par contre, cette fois-ci, je dois franchir un point de non-retour. Je ne sais pas quand j'aurai la chance de revenir, et le temps venu, tout aura changé. Je ne retrouverai jamais cette vie forgée dans ce nouveau pays intacte. 


Aujourd'hui, je prends une décision. À partir de maintenant, je n'aurai plus hâte. Je ne veux plus anticiper mon retour. À partir de maintenant, je veux vivre chaque minute qu'il me reste à apprécier ma vie malaisienne. Je ne veux pas faire écouler le temps le plus vite possible, mais plutôt l'arrêter et prendre les dernières poufées de vie qu'il me reste dans ce merveilleux pays. Ça ne sert à rien de vivre dans le futur, car son tour viendra de toute façon, alors que le présent est compté et se dissipera sans ne laisser de trace.

Lire ce texte peut paraître ridicule ou étrange pour vous qui n'avez jamais bâti un nouveau foyer ailleurs. C'est un sentiment qui ne se comprend pas tant qu'on ne le vit pas soi-même. Je ne m'attendais pas à pouvoir m'attacher autant à un pays d'Asie du Sud-Est. En partant en immersion dans ce coin du monde, je me voyais vivre des chocs culturels et être dépaysée. Je croyais que ce serait tout, que ce serait comme ça toute l'année, et que c'était normal. C'était le but non, sortir de ma zone de confort? Finalement, je me suis surprise à devenir beaucoup trop confortable dans cet environnement au fur et à mesure que le temps avançait. J'ai appris à aimer ces choses qui m'agaçaient tant au départ. J'ai appris à embrasser cette culture, où devrais-je dire ces cultures. Le mot était juste, je me suis complètement immersée. Je suis chez moi. Mais il y a un autre chez moi qui m'attend, au dessous de mes pieds. 
 

Le choc post-retour sera définitivement horrible. Je suis effrayée. Terrorisée. 

Mais on n'y pense plus. On vit le moment présent. Je suis en Malaisie et la suite n'est pas importante. Je vis au jour le jour. 


À bientôt.


Alice 


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